All-Ireland 2018

jeudi 6 août 2015

Antrim (Aontroim)


Le 15 août 1969 un régiment de l'armée britannique, le queen's regiment, est déployé dans les rues de Belfast, nom de code "opération etandard".  Depuis plus d'un an, des violences sporadiques secouent Belfast et Derry, opposant les nationalistes irlandais alternativement aux forces paramilitaires loyalistes et à la police.

En avril 1969 le quotidien irish news décrit ces émeutes à répétition comme étant "la vague de violence la plus destructice depuis plus d'un demi siècle".
On assiste alors, mois après mois, à une montée lente mais très perceptible dans l'intensité des affrontements dans la province.
Le déclenchement de la bataille du bogside à Derry  le 12 août 1969 provoque un effet de contagion et les troubles touchent bientôt Belfast. Le 15 août, Londres ordonne un déploiement massif de troupes en Ulster, la police nord irlandaise s'étant montrée impuissante ou bien peu empressée à empêcher les troupes loyalistes d'incendier des centaines de maisons lors des violences touchant principalement le quartier d'Ardoyne, véritable bastion de la révolte catholique et nationaliste.

L'une de ces demeures était celle de Michael Culbert, membre de l'équipe de football des U21 d'Antrim appelée à disputer une demi finale de All Ireland deux semaines seulement après les événements.
L'adversaire d'Antrim pour cette demi-finale est Cork, et un avion de la compagnie Aer Lingus est spécialement affrété par le gouvernement irlandais pour convoyer le groupe à destination. À l'issue d'une rencontre à rebondissements, les joueurs d'Antrim parviennent à laisser derrière eux le tumulte et la violence des troubles pour s'imposer d'une courte tête 3-07/1-12.
Opposé à Roscommon en finale , Antrim réalise encore des prouesses, débutant pourtant dans la douleur, en manque de condition, pour s'imposer une nouvelle fois par le plus petit des écarts 1-08/0-10.
La victoire provoquera des scènes de pur bonheur et au moment où le capitaine Liam Doyle reçut la coupe, on pût entendre retentir le fameux chant de la lutte pour les droits civiques "we shall overcome" repris par les fans des jaunes et blancs.
La réception de l'équipe à son retour à Belfast fut à la hauteur de l'événement, rassemblant les membres de la GAA et  bien au delà, pour un gigantesque céilí (équivalent irlandais du fest noz breton) dans l'enceinte du St.Teresa Hall.
L'année suivante, Antrim s'incline en finale du championnat d'Ulster des moins de 21 ans face au tenant de Derry, les deux comtés semblent alors s'imposer comme les futures puissances de la province mais la dureté du conflit qui secoue toujours plus fort le nord de l'île provoque la dislocation de cette génération pourtant prometteuse et surtout la descente aux enfers du comté, relégué au rang de victime expiatoire dans la province. Durant le quart de siècle qui suit, Antrim ne remportera en effet que quatre petits matchs de championship au niveau senior.
Si la plupart des joueurs de cette génération ne furent pas directement impliqués dans les troubles, certains passèrent tout de même de longues années en prison, d'autres y laissant même la vie.
L'impact de ce conflit durant ces années de plomb sera ravageur sur l'élan pourtant prometteur qui semblait porter cette équipe au potentiel gigantesque, et Antrim retourna alors au vide footballistique.
L'équipe d'Antrim fut la première véritable puissance du football en Ulster au début du 20ème siècle , remportant les titres provinciaux en 1900 et 1901, parvenant même à décrocher six titres de suite entre 1908 et 1913. Par son organisation et son style, Antrim apporte un souffle nouveau en Ulster, même si celui ci n'est pas toujours favorablement accueilli.
Des commentaires acerbes suivent leur victoire en demi finale du championnat d'Ulster 1910 contre Monaghan, le Dundalk democrat critiquant notamment l'équipe d'Antrim pour ses tactiques trop calquées sur celle du soccer au mépris des tactiques traditionnelles et plus conventionnelles de leurs adversaires.
Avant l'émergence d'Antrim, les représentants de la province étaient régulièrement dominés en demi finale du All-Ireland. Après s'être inclinés de peu face à Louth en demi finale du All-Ireland 1909, ils parviennent l'année suivante à atteindre la finale en s'imposant face à Kilkenny qui disputa d'ailleurs à cette occasion sa dernière demi finale nationale en football.
Cette victoire marque un événement de taille puisque c'est là la première fois qu'une équipe d'Ulster se qualifie pour la grande finale nationale.
Cette finale, disputée à St.Jone's road (l'ancien nom de Croke Park), fut certes perdue assez nettement face à Cork (6-06/1-02), mais le simple fait d'avoir atteint ce niveau de compétition pouvait être vécu comme une victoire.
Le président de l'Ulster GAA, Patrick Whelan, saluera d'ailleurs le comté dans un discours aux accents très politique  "Antrim a fait preuve d'une unité et d'une détermination remarquable pour briser les barrières du "West britainism" (une expression au ton péjoratif désignant l'assujettissement à la couronne par une forme de collaboration), si solidement érigée à Belfast pour entraver le gael, les Gaels ont percés les lignes du colon et leurs étandards flottent fièrement sur l'Irlande"
L'année suivante, Antrim revient à nouveau au plus haut niveau. Outsider total contre Kerry en demi-finale, ils s'imposent pourtant avec une étonnante facilité 3-05/0-02. La légende noire veut que les joueurs de Kerry se soient montrés des hôtes très enthousiastes lors d'un mariage la veille du match, mais la vérité réside surtout dans la variété des combinaisons de jeu d'Antrim ainsi que dans leur préparation physique irréprochable  (chose pas nécessairement encore tres répandue à l'époque).
La finale face à Louth sembla longtemps leur sourire, plus encore après le premier but de la partie inscrit à un quart d'heure du terme, mais l'heure du premier sacre pour une formation d'Ulster n'était pas encore venue car Louth devait recoller pour finalement s'imposer de cinq points.
1913 les voit conserver leur titre provinciale mais s'écrouler en demi-finale nationale face à Wexford, puissance montante du football dans cette décennie et sur la voie d'une série de quatre All-Ireland consécutifs.
La traversée du désert sera longue, et durera plus de trente ans, il faudra attendre 1946 pour voir à nouveau le comté remporter le championnat d'Ulster. Antrim met donc cap au sud sur Croke Park avec un certain optimisme et ce, non sans raisons. Leur jeu offensif d'une grande fluidité, basé sur un jeu de passes courtes à la main et des courses en solo à fait merveille jusqu'alors en Ulster, avec un Kevin Armstrong exceptionnel au poste d'avant centre. Cavan en quête d'un huitième titre consécutif en Ulster doit plier à  l'issue d'une superbe finale provinciale disputée à Clones devant plus de 15,000 personnes.
Antrim devenait ainsi le premier comté champion d'Ulster a ramener le trophée dans les frontières de l'Irlande du Nord (depuis la partition du pays en 1922).

Ils sont 30,000 à prendre le chemin de Croke Park pour voir les leurs affronter le monstre Kerry. Dès le départ, Kerry adopte un style ultra physique,  barrant la route aux coureurs en appui comme aux porteurs du ballon. À la radio, le journaliste Michael O'Hehir décrit alors un véritable champ de bataille avec en fond sonore les huées de la foule contre Kerry, ces derniers s'imposant grâce à un but de Batt Garvey en fin de rencontre, laissant un Antrim totalement dévasté.
La fin des années quarante s'avère délicate pour Antrim qui voit Cavan posséder sa plus belle génération et remporter les All-Ireland 1947 et 1948.
En 1951, Antrim renoue avec le succès provincial, mais le retard à l'allumage contre Meath en demi-finale s'avérera fatal et malgré un retour désespéré, ils viennent se fracasser à deux petits points des royals.
Cette échec marque un coup d'arrêt , Antrim n'a pas réussi à toucher le graal même si il est acqui que leur style de jeu a largement contribué à révolutionner le football de cette période. Antrim n'a à ce jour plus jamais remporté de titre provincial, disputant toutefois la finale de l'Ulster en 2009 perdue contre le vainqueur du All-Ireland 2008, Tyrone.
Si les sections football ne brillent plus depuis belle lurette, Antrim demeure incontestablement LA puissance numéro 1 en Ulster en ce qui concerne le hurling.
Seule comté de la province à avoir jamais atteint la finale du All-Ireland, les saffrons monopolisent les titres , avec 56 trophées de champion d'Ulster senior, 24 titres en U21 et 54 en catégorie minor. Aucun comté en Ulster, province quasi exclusivement dédiée au football, ne peut, et de très loin, prétendre à un tel palmarès, Derry et Down qui sont ses dauphins ne comptabilisent que 4 malheureux titres au niveau senior. L'explication vient essentiellement du fait qu'Antrim compte bien plus de clubs de hurling que n'importe quel autre comté dans cette province.
Ce sport y est promu avec ferveur, des Glens à Ballycastle et de Loughgiel à Cushendall en passant par Dunloy, le hurling est de très loin, le sport roi.
Dans les grands bastions du comté, le hurling est traité avec une passion similaire à celle que l'on peut rencontrer dans tout les fiefs traditionnels de ce sport dans le sud de l'île et des clubs de Belfast comme Mitchel's, O'Connell's, O'Donovan's Rossa ou encore St.Gall's
figurent parmi les clubs habitués aux phases finales nationales.
Cette passion est le reflet d'une tradition remontant aux origines de la GAA et à sa fondation en 1884. On sait que des sports avec bâton et balle, formes originelles du hurling et nommées cammon/commons/camán ou encore shinny sont pratiquées dans le comté d'Antrim tout au long du XIXème siècle.  Si la fréquence de la pratique de ces sports décline sensiblement après la grande famine, elle ne disparaît pas et ces formes variés de hurling non codifiées survivent même à la fondation de l'association athlétique gaélique. Dans les années 1880, un match resté légendaire et opposant Cushendall à Ballyeamon voit une centaine de joueurs dans chaque équipe tenter de faire passer une petite balle de bois entre des buts faits de tas de cailloux.
Ce n'est qu'à l'occasion de l'établissement en 1904 du Feis na nGleann, festival annuel célébrant la culture irlandaise créé dans la somptueuse région des montagnes d'Antrim (the Glens of Antrim), que le hurling ainsi nommé par la GAA prend définitivement le pas sur les autres formes de jeu.
A cette date, la pratique du hurling se développe jusqu'à la ville de Belfast à proprement parler , et l'un des historiens de la GAA, Dónal McAnallen, révèle d'ailleurs les efforts constants du fondateur Michael Cusack à promouvoir la pratique du hurling sur l'aire urbaine de la grande cité du nord, et ce longtemps après qu'il ait pourtant quitté son poste de secrétaire général de l'association, ce dernier nourrissant en effet une affection durable et certaine pour la ville.
La fondation de nombreux clubs et l'organisation de compétitions de hurling dans la ville au début du XXème siècle conduite par des hommes tel que Bulmer Hobson favorise l'implantation du hurling dans le comté.
En 1901, sept clubs assurent la promotion du jeu dans la ville et l'ambition est clair, "la pratique du vieux sport doit être un puissant facteur permettant de rendre Belfast aussi irlandaise qu'elle ne fut anglaise par le passé".
En réalité, l'élan pris au début du siècle s'atténuera tout au long des décennies suivantes, et même si Antrim conserve son incontestable leadership sur la province, il demeure incapable de concrétiser au niveau national.
Si on se souvient des progrès réels accomplis dans les années 1940 par le comté en football, c'est encore une fois le hurling qui permet au comté de se rapprocher du succès.
En 1940, Antrim créé la sensation en dominant Laois en demi-finale du All-Ireland Minor de hurling avant de s'incliner de peu face à Limerick en finale. Un grand nombre de joueurs de cette génération minor composera d'ailleurs l'ossature de l'équipe senior qui réalise un parcours exeptionel dans le All-Ireland 1943. C'est d'abord Galway qui vient s'incliner en quarts de finale de trois points à Belfast avant que le grand Kilkenny ne tombe au Corrigan Park dans des conditions météo dantesques.
Les saffrons deviennent la première équipe issue d'Ulster à atteindre la grande finale nationale en hurling.
En finale, Antrim est opposé à une équipe de Cork constellée de stars telles que Jack Lynch évoluant au milieu, ou encore le légendaire Christy Ring au poste d'avant centre.
Ce sont 48.843 qui prennent place à Croke Park, constituant alors la 3ème meilleur affluence jamais enregistrée dans la grande enceinte dublinoise. Les rues de Belfast sont désertes et c'est une clameur gigantesque qui accueille les hurlers à leur entrée sur la pelouse.
Au moment du toss d'avant match, le traditionnel échange des présents voit les deux capitaines échanger du beurre et du thé, deux produits considérés comme luxueux en cette période de privation due au conflit mondial.
Les hurlers d'Antrim, dépassés par l'enjeu, sont laminés par une impitoyable équipe de Cork menant déjà de 18 points à la pause. Antrim s'inclinant finalement 0-04 à 5-16. Un coup très dur porté au hurling à Antrim et en Ulster.
Le cauchemar de 1943 se reproduira presque à l'identique en 1989. Antrim remporte un nouveau trophée de champion d'Ulster contre Down avant de battre Kildare en quarts du All-Ireland et de retrouver Offaly en demi-finale.
Cette formation d'Offaly est composée d'éléments expérimentés ayant déjà remporté deux All-Ireland plus tôt dans le courant de cette décennie 80 et de jeunes talentueux venant de récolter trois titres nationaux en quatre ans.
Antrim parvient au prix d'une deuxième mi-temps fabuleuse, à s'imposer de trois point. La fin du match donne à voir l'une des images restée dans l'histoire du hurling, les joueurs d'Offaly formant une haie d'honneur à leur vainqueur à la manière des rugbymens.
Mais, comme quarante six ans plus tôt, la dernière marche reste trop haute et Antrim s'écroule face à Tipperary  (3-09/4-24) et son attaquant star, le grand Nicky English auteur de 2 buts et 12 points ce jour là.
Antrim a continué depuis à sortir de très belles équipes mais aucune n'est parvenue à atteindre ce niveau de la compétition.
Si le comté attends toujours son premier sacre national, les équipes de clubs elles, ont déjà conquis des titres tant en hurling qu'en football.
Il faut également se souvenir que le club du West Belfast de St.John's fut l'un des éléments moteur dans la création d'un championnat All-Ireland des clubs.
Dans les années 1960, le club est à l'origine d'un tournoi évoluant rapidement vers une sorte de championnat d'Ulster des clubs. Une motion fut déposée par le conseil GAA de l'Ulster lors de la convention annuelle a Croke Park conduisant à la création du premier championnat national des clubs en 1971.
En 1983, le club des Loughgiel Shamrocks devient le premier d'Ulster a remporter le titre national, s'imposant en finale face au champion d'Offaly, St.Rynagh's, avant de rééditer en 2012 contre Coolderry, autre représentant d'Offaly.
Dans les années 90 et 2000, Dunloy fut à plusieurs reprises proche de rééditer l'exploit.
En 2010, ce fut au tour des footballeurs de St.Gall's de connaître la consécration après une première tentative infructueuse en 2006, ils prennent le meilleur sur le champion du Clare,  Kilmurray-Ibrickane.

Un titre national qui confirme leur statut de force incontournable dans le comté, car même si le voisin de St.John's demeure le plus titré au niveau local avec 24 titres, St.Gall's en compte lui 15 dont 14 remportés depuis 1982.
La GAA est donc solidement implantée à Belfast même si le grand défi, bien plus que dans le reste du pays, consiste à lutter pied à pied avec le soccer, spécialement dans la classe ouvrière.
Du sort de cette "bataille", dépend l'issue de la lutte pour faire d'Antrim une place forte nationale dans les compétitions inter-comtés.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire