All-Ireland 2018

mercredi 11 novembre 2015

Clare (An Clár)

En 2006, à l'occasion du centenaire du décès de Michael Cusack, la première pierre d'un musée dédié au plus illustre enfant du pays était posée à Carron, en pleine terre de Burren, cette région si typique du comté de Clare, sorte de désert calcaire bordant l'atlantique.
L'édifice inauguré en grande pompe est situé dans la demeure même ou celui qui fut l'un des pères de l'association gaélique naquit en 1847, en plein coeur de la grande famine.
Il ne s'agit pas du premier édifice consacré à Cusack. Soixante dix ans auparavant, en 1936, le nouveau et plus grand stade du comté, portant son nom, était ouvert au public à Ennis et un quotidien local titrait "Enfin, les Gaels du Clare ont un terrain à la hauteur de leur puissance et de leur histoire".
Si Michael Cusack passa la plus grande partie de sa vie professionnelle- en tant que professeur, journaliste, sportif et organisateur- loin de son comté natal, son fabuleux héritage reste plus apparent à Clare que n'importe où ailleurs. La GAA est née de la vision et de l'énergie de cet homme et dans le comté de Clare, la graine poussa avec rapidité et les racines s'implantèrent profondément.
Le vitalité précoce de l'association permettait d'organiser en un seul dimanche du mois d'août 1887, sur un champ aménagé en terrain de hurling près de Barefield, un tournoi rassemblant dix paroisses et plus de 200 joueurs.
Les tournois de hurling devinrent à partir de ce jour monnaie courante, et ce qui avait été organisé à Barefield devint une forme de routine du côté d'Ennis, de Crusheen ou de Ruan. Jouer ou assister à une partie de hurling se transforma vite en rituel hebdomadaire. Parallèlement à ces tournois, 1887 vit l'organisation du premier championnat du comté et l'engagement de Clare dans le tout premier championnat All-Ireland inter-comtés.
Newmarket fut le représentant du comté pour la compétition de football et le club de Smith O'Brien , composée de jeunes fermiers, pour celle de hurling.

Comme dans le reste du pays, les effets dévastateurs de l'affaire Parnell et les divisions profondes qui travaillèrent le pays, eurent raison des débuts encourageants de la GAA, provoquant une mise en sommeil provisoire de l'association entre 1891 et 1895. L'impact d'une émigration continue pesait également et plus encore dans ces comtés pauvres et agricoles de l'ouest.

Il fallut attendre le début de 20ème siècle pour assister à une renaissance de l'association et le courant de la décennie suivant la mort de Cusack en 1906 pour voir Clare écrire l'une des pages les plus glorieuses dans l'histoire des compétitions All-Ireland.

L'année 1914 marque un sommet. Clare accompli un fabuleux doublé en décrochant les All-Ireland senior et junior. Et ce succès est dû à tout sauf au hasard,  il est le fruit d'un plan de bataille précis.
Un comité spécial est chargé de collecter des fonds publics et d'assigner un entraîneur au comté: celui ci sera Jim O'Hehir, père du légendaire commentateur radio Michael O'Hehir.
La préparation de la grande finale contre Laois voit le quotidien local Clare Champion présenter un vrai feuilleton avec preview et dessins des joueurs.
L'équipe est mise au vert avec marche et course dès l'aube entre Lisdoonvarna et Liscannor pour un retour programmé à l'heure du petit déjeuner.
Cette préparation intensive explique en grande partie la victoire contre Laois et marque surtout un changement culturel dans les sports gaéliques et une approche quasi professionnelle.

Ce que les hurlers avaient accompli en 1914, les footballeurs furent près de l'imiter en 1917, battus d'une courte tête par Dublin (représenté par le club des Kickhams).
Le championnat 1917 se déroule dans un climat tendu et le politique ne manque pas de s'inviter dans la sphère sportive.
A l'occasion d'une élection partielle à la chambre des communes organisée dans l'East Clare en juillet de cette année, les footballeurs unissent leurs couleurs à celle du Sinn Féin dont le candidat n'est autre que Éamon De Valera, récemment libéré de prison, entrant sur le terrain derrière une bannière affichant le slogan "Up De Valera".

Les implications du sport et de la politique au cours des années suivantes se feront au détriment de l'association dans le Clare. Et lorsque l'unité de la rébellion nationaliste laissera la place à la division et aux déchirements de la guerre civile, les retombés se feront sentir jusque dans le sein de l'association, la divisant profondément.
Deux factions rivales s'affrontent suite à l'exécution de deux républicains anti-traité, un joueur du comté, Con MacMahon et le secrétaire du board Paddy Hennessy. Cette division provoquera une organisation séparée des compétitions durant un temps. Même si le board réunifié et la GAA sont à créditer pour avoir largement contribué à restaurer l'harmonie dans le comté, les ressentiments ont longtemps perdurés.

Au cours des décennies suivantes, si il est une personnalité qui domina plus que n'importe quelle autre les affaires de la GAA dans le comté de Clare- en tant que président du board du comté- c'est bien celle de Canon Michael Hamilton. Un homme aux casquettes et aux talents multiples -enseignant, pasteur, présentateur et avocat de la culture et de la langue irlandaise- son influence sur la GAA s'étendant d'ailleurs bien au delà des frontières du Clare.
C'est Hamilton par exemple, qui décida de faire disputer la finale du All-Ireland 1947 à New York, croyant qu'il était essentiel de démontrer une forme de solidarité et de créer un lien fort avec la diaspora.
Mais si la vision de Hamilton était globale, son nationalisme pouvait s'avérer étroit et exclusif, preuve en est qu'après s'y être initialement opposé, il fut l'un des plus fervent supporter du bannissement des infidèles assistant ou à plus forte raison jouant à des sports étrangers.
Ce bannissement, souvent cité en exemple de l'intransigeance et de l'étroitesse d'esprit de la GAA était pourtant bien loin de faire l'unanimité au sein du board lui même.
St.Flanan's, le lycée dans lequel Canon fut élève avant d'en devenir l'un des professeurs, choisi de se retirer de la compétition étudiante de hurling dans le Munster, la Harty Cup, de 1928 à 1943 par protestation à l'extension de la règle de bannissement au joueurs de lycée.

Lorsque le St.Flanan's college réintègra le championnat du Munster de la catégorie, il connu rapidement le succès, remportant quatre titres consécutifs entre 1944 et 1947. Jimmy Smyth qui fut membre de trois de ces quatre équipes devint par la suite l'un des meilleurs joueurs de l'histoire du comté. Après avoir fait ses gammes sur un terrain voisin de la propriété de ses parents, utilisant un hurley (crosse) taillé dans un noisetier et une éponge en guise de sliotar (balle), son arrivée au lycée constitua une sorte de choc culturel. "Un endroit morne, rude et peu hospitalier comparé à la chaleur du village" se rappelait Smyth. C'est bien à  St.Flanan's que Smyth et tant d'autres développeront leur technique, s'affutant grâce à un programme d'entraînement exigeant et sous la férule de professeurs talentueux.
Les collèges et lycées venaient en complément d'une structure de club servant à renforcer les liens communautaires forts dans de nombreuses parties du comté. Cet aspect si spécifique à la société du Clare fit d'ailleurs l'objet dans les années 1930 d'une étude menée par deux anthropologues américains, Solon Kimball et Conrad Arensberg. Une vingtaine d'années plus tard, inspirée par ces travaux, la grande photographe américaine emblématique de la période de la grande dépression,  Dorothea Lange, se rendit dans le Clare y effectuant un travail  similaire à celui des deux anthropologues, l'image venant en complément des écrits.
Ces observateurs capturèrent par l'image et les mots un comté en voie de profond bouleversement. Un changement incarné par le développement de l'aéroport de Shannon- devenant un hub important des voyages transatlantiques-  transformant la région et agissant comme un puissant moteur de développement industriel, source d'emplois et de croissance pour l'urbanisation.
Une ville nouvelle -Shannon- verra même le jour dans les années 1960, érigée sur des marais asséchés pour répondre à l'arrivée massive de travailleurs.
Assez logiquement, les nouveaux venus étant soucieux de pratiquer le sport, de nouveaux clubs virent le jour à l'image du Shannon Airport and Athletic Club (qui deviendra plus tard le Wolfe Tones Shannon) fondé en 1967.
Une division d'ordre géographique entre football et hurling devait s'avérer comme une constante. Le premier s'imposant clairement dans l'ouest et le second dans l'est. Au milieu des années 1960, l'ouest, pratiquement privé de hurling fit l'objet d'un grand plan de développement de ce sport par le board du comté avec cinq paroisses identifiées comme pilotes du projet. On ne peut dire que cette initiative rencontra un réel succès, même si les quelques variations démographiques intervenues au tournant du nouveau millénaire apportèrent quelques modifications aux anciennes loyautés, la division géographique entre ouest et est du comté reste une réalité.

La convergence entre les deux sports se fait malheureusement sur un point durant toute la seconde moitié du 20ème siècle, l'absence de résultats au niveau inter-comtés, et ce malgré une scène de clubs assez vivante, donnant parfois lieu à quelques rivalités très (trop) intenses.
Si dans les années 1970, les hurlers du comté, menés par le père Harry Bohan parvinrent a décrocher deux titres consécutifs en National League, la conversion de réussites hivernales en sacres estivaux ne se fera pas avant les années 1990.
Le grand moment du football intervient lui en 1992, puisque après avoir capitalisé sur un titre en All-Ireland'B l'année précèdente, Clare remporte le titre provincial face au grand Kerry pour afficher son premier sacre dans le Munster depuis...1917.

Les hurlers plantent eux le drapeau du comté au sommet de la montagne en 1995, décrochant son premier All-Ireland depuis 1914.
La préparation physique de Clare fera d'ailleurs florès et nombreux furent les techniciens à s'en inspirer dans les années qui suivront.
Clare remportera à nouveau le titre national en 1997 (le premier après l'instauration du nouveau système de repêchage) puis en 2013 (face à Cork) après replay et un double affrontement mythique.
Jimmy Smyth définira parfaitement l'impact de cette accomplissement dans le comté: "C'était plus que la simple quête de l'honneur, de la gloire et de la réputation, plus que l'épanouissement et le bonheur de maîtriser un art, plus que la satisfaction de dominer l'adversaire,  plus que le frisson de voir trembler les filets. Nous étions dans un avion volant plus haut que cela encore, c'était un tout, l'émergence d'un esprit collectif, de l'unification des esprits des hommes, femmes et enfants d'un comté uni chez lui comme à  l'étranger".

mardi 25 août 2015

Cavan (An Cabhán)






Cavan est le berceau de la GAA en Ulster et avec 39 titres, le comté le plus titré de la province, même si la plupart de ces titres font depuis longtemps parti de l'histoire, les Breffni's n'ayant conquis qu'une seule Anglo-Celt Cup sur les 45 dernières années.
La première manifestation officielle organisée par la GAA en Ulster le fut par le tout jeune club de Ballyconnell Joe Biggars.
Joseph Biggar

Biggar, originaire de Belfast, venait d'être élu député du parti nationaliste pour le comté de West Cavan au parlement de Westminster en décembre 1885.
Son élection semblait offrir la preuve locale que le home rule incarné par le leader du parti nationaliste -Charles Stewart Parnell- était désormais une réalité politique prenant corps au quotidien dans la vie des Irlandais.
Ainsi, les fondateurs de Ballyconnell accolaient-il avec fierté le nom de ce prestigieux parrain à celui de leur club.
La date de fondation du club reste floue mais il fut officiellement affilié à la GAA en mars 1886 et disputa son premier tournoi en avril de cette même année.
Le fait que les fondateurs de Ballyconnell donnent à leur club le nom d'un député nationaliste est en soit significatif et également un reflet du temps, mais étrangement, cela n'avait rien d'un principe intangible, car quelques années plus tard, et alors que d'autres clubs se réclamaient du titre de plus ancien d'Ulster, le nom de Biggar fut considéré comme trop...daté par les dirigeants du club et décision fut prise de transformer l'appellation en Ballyconnell First Ulsters.
Chose quelque peu oubliée aujourd'hui, les meetings d'athlétisme tenaient à l'origine une place centrale dans la vie de la GAA lors ses premières années d'existence et l'engouement populaire qui entourait ces événements était palpable et précisément retranscrit par les journaux.
Pour beaucoup, la GAA prosperait précisément grâce à cette capacité à offrir des occasions de rassemblements et de sorties pour toutes les classes sociales.
Même si la GAA a depuis abandonné  l'athlétisme, son rôle dans la construction des premiers temps de l'association reste assez prégnant. Si l'athlétisme possédait à la base une position dominante, le football gaélique était déjà en embuscade et affirmait sa domination quasi sans partage sur un hurling ne jouissant lui que d'une représentativité très modeste dans le comté.
L'engouement pour le football était manifeste, et exprimé à l'occasion d'un match opposant Ballyconnell à Bailieborough sur un terrain proche de Cavan fin 1886. Les joueurs de Bailieborough se chargeaient d'acheminer les buts à l'aide de chevaux et de remorques et le match fut joué en dépit des avertissements de la police sur la violation du Lord's Day's Observance Act de 1695, un acte de loi stipulant qu'aucun match de hurling, de football, de rencontres de lutte ou de cudgel (sorte d'escrime au bâton) ou tout autre passe-temps ou jeux, ne devait se tenir le jour du seigneur.
Aucun club ne fut aligné lors du premier championnat en 1887, mais en 1888 le comté était suffisamment bien organisé pour présenter une équipe.
La finale devant désigner le club appelé à représenter le comté en championship  opposa le Ballyconnell First Ulsters aux Maghera MacFinns le 30 avril 1888 sur un terrain des environs de Cavan town. Ballyconnell était donné largement favori et loué dans la presse locale pour sa qualité de jeu et son style.
Maghera est resté dans les mémoires pour d'autres raisons. Des années plus tard, le célèbre éditeur de la revue Anglo-Celt, John F.Hanlon, se rappelait avoir assisté à ce match étant enfant: "Je me souviens bien de cette équipe de Maghera, vingt et un gars bien charpentés et surtout, portant tous de longues barbes. La barbe était plutôt à la mode à l'époque mais portée avec un maillot de football, cela donnait à une équipe un aspect assez effrayant, féroce!"
Mené par des garçons comme John Duffy, Tom Clarke ou encore Andy Cumiskey, Maghera remporta à la surprise générale ce premier championnat de Cavan 1-04 à 0-01. Toutefois ce titre ne marqua pas pour autant le début d'une campagne victorieuse en Ulster; Maghera fut battu en finale provinciale par Inishkeen Grattans (co.Monaghan), une équipe au jeu trop savant et précis pour un Maghera, certes puissant mais limité tactiquement.
Dans son excellente "histoire de la GAA à Cavan", Daniel Gallogly relève qu'à la fin 1888, la GAA était en plein essor dans tout le comté au point que l'on y comptait trente huit clubs existants. Des rapports de police suggèrent qu'une grande majorité des officiels de la GAA appartenaient alors à l'IRB  (Irish Republican Brotherhood). Cela semble possible mais très surévalué lorsqu'on sait que les rapports d'espionnage de la police royale irlandaise concernant l'IRB dans tout le pays était assez inégaux et souvent remplis de conjectures fantaisistes et d'exagérations.
D'autres notes rapportent encore que durant les années 1890, les ribbonsmen (une société secrète d'essence paysanne responsable d'agitations violentes dans les campagnes) tenaient également un rôle non négligeable dans l'association et entrant possiblement en concurence avec l'IRB,  utilisant les matchs comme occasion de règlement de compte entre factions rivales. Cela pouvant expliquer, selon les services de police, le si grand nombre de bagarres lors des matchs entre 1888 et 1890 et pourquoi il était aussi délicat de les contrôler.
L'incapacité à contrôler ces excès- et en fait à contrôler la GAA elle même - devait conduire l'église catholique à modérer  son soutien à l'association, voir même à la réprouver publiquement 
À Cavan, le board est littéralement en morceaux à l'hiver 1889-90, le championnat du comté purement et simplement annulé et Cavan suspendu des compétitions inter-comtés.
Assez étonnement,  c'est dans ce contexte à priori peu propice que Cavan remporte, l'année suivante, son premier titre en Ulster.
Terence Fitzpatrick, dirigeant local de l'IRB mais aussi membre du club des Cavan Slashers, s'engagea dans une réforme de fond du board et parvint à organiser une rencontre entre les Slashers et Ballyconnell dans ce que l'on pourrait assimiler à une sorte d'inauguration du nouveau championnat local. Les Slashers s'imposèrent et (en tant que représentant de Cavan) dominèrent les Harps d'Armagh à Smithborough en finale de l'Ulster. Pour réaliser à quel point ces années étaient encore une période de formation pour la GAA, il convient de se souvenir que ce sont les joueurs des Cavan Slashers eux même qui durent élever les poteaux et tirer une corde entre eux pour faire office de barre transversale.
Il faudra attendre le début du 20ème siècle pour voir la GAA véritablement remise sur pieds à Cavan. D'anciens éléments des Slashers comme Andy McEntee, se trouvèrent aux avant-postes de cette entreprise.
Le rôle primordial de McEntee, qui fut également chroniqueur pour l'Anglo-Celt et président du board de Cavan de 1912 à 1920, est d'ailleurs rappelé dans une très belle et très riche collection d'articles intitulée Memories of the Lifetime in Journalism in Cavan.
Un match du championnat d'Ulster 1905 disputé sur le terrain du County Cavan Agricultural Show Society, offre un parfait exemple de l'aspect tragi-comique que pouvait parfois revêtir certaines rencontres. Cavan s'imposa face à Antrim  (0-05 à 0-02), mais ces derniers déposerent des réserves car, en cours de match- et entre autre griefs- un vendeur à la sauvette était venu se planter devant le gardien de but d'Antrim pour tenter de lui vendre...des oranges.
La requête n'aboutira pas et Cavan remportera le titre en Ulster avant de s'incliner en demi-finale du All-Ireland contre Kildare (0-08/0-00).
Le titre remporté cette année là était le dernier d'une série de trois consécutifs.
Cette domination de Cavan sur la province va se prolonger sur cinq décennies, des années vingt aux années soixante.
Les années 1920 verront Cavan moissonner les titres avec 7 trophées durant cette période, puis huit autres dans les années 1930 et encore neuf dans les années 1940!  Une prééminence quasi sans partage puisque entre le début du premier conflit mondial et la fin de la seconde guerre mondiale, seul Monaghan (à neuf reprises) parviendra à priver Cavan de titre en Ulster.
Le déclin intervient dans les années 1950 avec "seulement" trois titres puis quatre dans les années 1960, un déclin très relatif donc et à poser en relief avec l'empire absolu des précédentes décades.
La riche scène des clubs dans ce comté est certainement l'un des points centraux dans cette tradition de succès. Une scène dont Cornafean et Mullahoran seront les puissances dominantes dans un contexte local pourtant relevé.
Ces deux clubs ont hébergé des légendes du jeu. Parmi les joueurs talentueux à avoir porté le maillot de Cornafean, Packie Masterson, qui joua pour cette équipe de 1910 à 1947, y laissant incontestablement une empreinte indélébile.
Pour avoir une idée de la puissance que pouvait représenter Cornafean, il suffit de constater que même si le club n'a plus remporté le moindre titre local depuis 1956, il n'en demeure pas moins, et d'assez loin, le plus titré du comté avec 20 titres en seniors.
La construction du Breffni Park en 1923 fut un moment important de l'histoire des sports gaéliques dans le comté. La planification  du projet, l'achat du terrain, le rassemblement de fonds, sont révélateurs d'une approche du football qui a rendu le comté aussi riche en titres.
Mais les victoires à répétition en Ulster ne se sont pas immédiatement traduites en succès au niveau national. Cavan dût même subir une série de revers crève coeur, comme celui contre Kerry en demi-finale du All-Ireland 1925 jouée à Tralee. L'Anglo-Celt rappelle que plusieurs cars de supporters firent ce jour là le long trajet vers le sud: "un modèle T qui avait quitté Cavan à cinq heures du matin est arrivé moins d'une heure avant le coup d'envoi...La traversée de l'atlantique par Charles Lindbergh était une partie de plaisir comparée au périple que connurent certains dans leur route vers Tralee".
À l'issue d'un terrible mano à mano et d'un véritable match de ping pong,  Cavan s'inclina d'un petit point.
Plus frustrante encore fut une autre défaite d'un point concédée en finale du All-Ireland 1928 face à Kildare à Croke Park et qui vit pour la première fois remise la Sam Maguire Cup au vainqueur.
En 1933, Kerry débarquait au Breffni Park avec l'une des plus belles équipes de son histoire, composée d'éléments tels que Dan O'Keefe ou encore les frères Landers en quête d'un cinquième All-Ireland consécutif, un exploit sans précédent.
Cavan toucha enfin au but, et grâce notamment à un but signé Vincent McGovern, réussi l'exploit de faire  tomber le Kingdom à l'issue d'un vrai sommet de jeu, Cavan était en finale nationale pour la première fois de son histoire.
À la mi-temps de la finale contre Galway, un groupe d'individus s'empara du micro du commentateur de la station 2RN,  Éamonn de Barra, pour appeler à la libération des prisonniers républicains grévistes de la faim.
Un fait anecdotique qui reste dans les mémoires plus que la finale en elle même, mais pour Cavan, seule la victoire fut belle (2-05/1-04).
Pour Jim Smith, attaquant star et capitaine de l'équipe, la victoire sur Galway marque une véritable apogée. "J'ai réalisé le rêve de ma vie, après quatorze années de combat, j'ai ce que je voulais, enfin!".
Cette victoire en All-Ireland ouvra la voie à d'autres succès. Cavan, ultra dominateur en Ulster était amené à disputer une demi-finale de All-Ireland deux années sur trois.
En plus de celui de 1933, Cavan remportera quatre autre Sam Maguire Cup supplémentaires en 1935, 1947, 1948 et la dernière en date en 1952, remportée en replay contre Meath.
Au milieu du 20ème siècle, Cavan est donc bien une véritable place forte du football, considéré comme le dauphin attitré de Kerry.
Un tel résultat peut être regardé comme une sorte de petit miracle car après tout,  la population du comté était relativement faible- on recensait 80.000 habitants dans le Cavan à l'époque du premier titre en All-Ireland- un chiffre chutant même encore durant les années triomphantes.
Décennie après décennie, l'exode dans ce comté très agricole semblait inexorable, au point que, d'une population de 240.000 habitants à la veille de la grande famine, il ne demeurait plus que 54.000 habitants en 1966. D'autre part, l'existence de la frontière séparant le nord du sud faisait de Cavan une sorte d'enclave et de cul de sac géographique, ce d'autant plus que le comté était totalement dépourvu de lignes de chemin de fer pour le transport de passagers depuis 1947 et la pénurie de charbon amenant l'état a supprimer les lignes les moins rentables, une conjonction de handicaps contribuant ainsi à plomber d'avantage son développement économique.
Au sein de la diaspora irlandaise, les hommes et femmes originaires de Cavan prennent une part importante, ce qui faisait présenter chaque succès des Breffni's comme un événement à la  portée internationale.

Kerry - Cavan au Polo Grounds de NY

C'est en partie pour cette raison que la finale disputée au Polo Grounds de New York en 1947 fut  une sorte de point d'orgue pour Cavan et pour cette génération dorée ayant à moment remporté neuf championnats d'Ulster et disputé quatre All-Ireland - célébrée pour son jeu offensif alléchant , son jeu de passe à la main tranchant et le talent de garçons comme Simon Deignan, Peter Donohoe, les frères O'Reilly, "gunner" Brady ou Mick Higgins- même si elle n'avait pas gagné cette fameuse finale, elle serait tout de même restée dans les coeurs et les esprits, toutefois l'aspect romantique de cette équipe et son épopée, relatée par la voix crépitante d'un Michael O'Hehir écouté par les ondes et par delà l'atlantique par tout le peuple de Cavan rassemblé derrière les émetteurs ont fait de ces moments d'authentiques morecaux d'histoire de la GAA.
Au coup de sifflet final, toutes les portes du comté s'ouvraient comme une seule, la rue était prise d'assaut,  des feux allumés et autour, des enfants et leurs parents chantant des ballades locales.

Les années qui suivirent le cinquième titre de 1952 furent celle du lent déclin, national d'abord puis dans le courant de la décennie 1970 la puissance traditionnelle en Ulster finit par s'étioler de mêmePourquoi une telle extinction? L'historien de la GAA locale, Daniel Gallogly relève que le déni de ce déclin combiné à une nostalgie permanente et malsaine eurent un effet désastreux, Cavan étant petit à petit surpassé par une concurence plus réactive sur la formation et la structuration des catégories d'âges inférieurs.
La chute de la démographie se poursuivant, contrairement aux comtés voisin dans lesquels ont constata un accroissement de la population après 1961. Un développement industriel au point mort et de trop faibles investissements dans un comté trop dépendant du secteur primaire finirent par creuser un fossé profond.
Côté clubs, les progrès restèrent limités et aucun club du comté de Cavan n'a jamais remporté le championnat d'Ulster depuis sa création en 1968, quatre clubs se brisant les dents en finale (le dernier en date étant Bailieborough en 1995).
Le comté ne remporta plus le moindre titre provincial inter-comté entre1970 et 1996.
On assista néanmoins à une brève renaissance au milieu des années 1990, avec une défaite contre Tyrone (0-10 à 2-13) en finale de l'Ulster 1995 suivi par une victoire sur Derry deux ans plus tard grâce notamment à un but tardif signé Jason Reilly.
Si la demi-finale du All-Ireland contre Kerry raviva les souvenirs et la nostalgie de la mythique finale disputée tout juste cinquante ans auparavant, le miracle ne se produira pas et Kerry s'imposera de sept points.
La montée en puissance de Tyrone et d'Armagh relègua Cavan au rang de faire valoir puis avec la montée en puissance de la province dans le courant des années 2000, Cavan sera même réduit à l'état de quantité négligeable. Les récents résultats en catégories jeunes- notamment avec les U21 quadruple champions d'Ulster entre 2011 et 2014 (sous la coupe de l'actuel coach des seniors, Terry Hyland) et finaliste du All-Ireland 2011 ou chez les juniors avec un titre décroché en 2014- suggèrent un renouveau possible, une lumière entrevue avec un retour en Division 2 de la ligue nationale qui constitue une sorte de thermomètre et surtout un quart de finale de All-Ireland en 2013 peuvent susciter de réels espoirs.

mardi 18 août 2015

Carlow - (Ceatharlach)



Nous sommes en Août 1944,  il faut compter une bonne demi-journée de voyage pour accomplir les 80km séparant de Dublin.

Le petit groupe quitte Carlow ce samedi après midi de mois d'août, les vélos mettent le cap sur Dublin, via le Wicklow, traversant Tullow, Rathvilly, Blessington. C'est seulement lorsqu'ils atteignent Tallaght dans la banlieue sud ouest de la capitale qu'ils posent pour la première fois le pied à terre. La petite troupe pousse les portes d'un pub, il est huit heure du soir et les gars, fourbus et affamés décident de passer la nuit dans l'établissement.
Le lendemain, une fois la messe dite, le groupe est gonflé à bloc et entame l'ultime partie du trajet.
"Ce voyage nous a fortifiés". L'un des participants au voyage raconta plus tard "nous, on se sentait invincibles depuis la veille et surtout gonflés à bloc pour soutenir Carlow!".
L'équipe championne du L

En matière de football gaélique, en plus d'être rare, il faut avouer que l'occasion de supporter Carlow à ce niveau de compétition et à cette période de l'année était carrément sans précédent. Nous étions en 1944, Paris se libèrait à peine et les coqs de combat était qualifiés pour leur toute première demi-finale de All-Ireland.
Si le match s'acheva sur une défaite pour Carlow, l'histoire était écrite. Quelques semaines auparavant, les footballeurs du comté avaient brillamment défait Dublin en finale du Leinster à Athy (Dublin étant trop exposé au bombardements), une victoire qui déclencha une vague d'émotion et d'intérêt à travers tout le pays. À Carlow town même, des feux furent allumés aux quatre coins de la ville et des rassemblements festifs s'organisèrent spontanément. Le nationalist and Leinster Times rapporte ces scènes de joie, on sorti les gramophones, les accordéons et l'on dansa autour des feux jusque tard dans la nuit.
Même si le titre de champion du Leinster 1944 est une grande première, il ne vient pas de nulle part, ne sort pas du néant,  tant depuis quelques saisons, Carlow s'est imposé comme un client solide et régulier dans la province.
C'est durant cette période de crise, de rationnement de nourriture et de fuel due au conflit mondial, que le comté dispute trois finales provinciales en quatre saisons. Deux de ces finales furent perdues en jouant de malchance et après d'importantes controverses. Après avoir atteint pour la première fois une finale provinciale en 1941, l'équipe de Carlow fut frappé par une épidémie de fièvre aphteuse et ainsi contraint au confinement. Lorsque décision fut prise de re-programmer la finale en novembre, les enjeux agricoles et industriels prirent cette fois le pas sur les enjeux sportifs. La préparation d'une grande partie de l'effectif fut en effet interrompue par la récolte des betteraves pour la sucrerie locale, grand pourvoyeur d'emplois depuis 1926.
Carlow revint la saison suivante pour disputer la finale de l'édition 1942 du championnat du Leinster. Mais une fois encore Dublin pris le dessus.
Carlow interrogea alors l'éligibilité de certains joueurs adverses, pointant du doigt une violation du bannissement de ces derniers pour avoir "assisté à des sports étrangers". La requête fut balayée par le président de la GAA, Seamus Gardiner, qui nia les preuves apportée par un témoin ayant vu des joueurs de Dublin pénétrer dans un stade de rugby, sur la base que ce dernier n'était pas membre du comité de vigilance (une section secrète de la GAA, alors chargée de s'enquérir de la façon dont les membres profitaient de leur temps libre). Une démarche évidemment très intéressée de la part des instances du Carlow GAA, mais inconsciente du danger que cela pouvait causer à certains petits clubs forcés de composer pour utiliser des terrains appartenant à des clubs pratiquant d'autres sports.
Pourtant, au delà de cet aspect, on constate que pour certains, comme le président du Carlow GAA, Thomas Ryan, la règle instaure une distinction aussi claire que légitime entre les sports gaéliques et les sports étrangers "le code vise à la justice morale entre chaque homme, à l'égalité et au droit pour le droit, et ce, quels que soient les conséquences, voilà la différence de nature profonde avec les sports étrangers joués par appât du gain. D'où le bannissement".
L'attitude vis à vis du bannissement évolua à différentes vitesses selon les comtés, et le vent du changement fut peut être plus fort dans le Carlow qu'ailleurs: plus de dix ans avant l'abolition du bannissement en 1971, Carlow fut ainsi le premier comté a demander le retrait de la motion cloisonnant les sports gaéliques et étrangers. Un délégué déclarant simplement "au final, ça n'aura strictement servi à rien".
Cette prise de position révèlait en tout cas la confiance qui habitait désormais la GAA concernant la place que les jeux gaéliques occupaient dans la culture sportive locale. Cela n'était  pas un mince exploit en effet, sachant qu'à Carlow, comme ailleurs,  la GAA était arrivée assez tardivement en ce qui concerne l'organisation de compétitions.
La création des premiers clubs de sports (soccer, rugby ou cricket) est antérieur parfois d'une décennie avant la fondation de la GAA et remonte à une période où la structure sociale du comté est encore largement agricole et sujète à de profonds bouleversements.
Durant la seconde moitié du 19ème  siècle, les effets tragiques de la grande famine sont partout visibles. Pour commencer, la population du comté - la deuxième la plus faible du pays démographiquement- est partie en chute libre: entre 1841 et 1881, la mort et l'émigration combinées réduisent le nombre d'habitants de près de moitié: la population chutant de 86.228 à 46.588.
Parmi les survivants restés au pays, un certain Colonel Horace Rochfort of Glogrennane, propriétaire de vastes étendues dans tout le comté et figure majeure du développement sportif initial à Carlow.
Colonel Horace Rochfort 

La passion de Rochfort pour le sport était assez éclectique et son talent d'organisateur phénoménal: il fonda le Carlow Cricket Club, mais également le Carlow Polo Club et le Carlow Rugby Club.
L'origine de tout ces clubs est antérieur à la création de la GAA et font appel essentiellement aux fermiers protestants ainsi qu'à la classe marchande protestante, avant de s'ouvrir progressivement à un nombre plus important de catholiques.
Voilà le contexte dans lequel émerge la GAA à la fin du 19ème siècle. L'association offrait quelque chose de différent par rapport à ces clubs déjà établis, ouvrant bien souvent la pratique du sport à de nouvelles classes sociales, petits fermiers et ouvriers nationalistes. Malgré cela, le développement de l'association dans le comté est moins spectaculaire que dans d'autres. Il faut attendre 1888 avant que ne soit tenu le premier conseil et mars 1889 pour assister au premier match de championnat du comté entre Carlow et Donore à Ballybar, sur un site réputé de course de chevaux. Au cours des décennies suivantes, et plus encore que dans le reste du pays, la croissance des jeux gaéliques est entravée par la chute de Parnell (voire affaire Kitty O'Shea) et une administration locale défaillante. Une réalité cruellement mis en lumière par la tenue de seulement neuf conventions en l'espace de vingt et un ans entre 1898 et 1919.
Nonobstant ces faiblesses administratives, on enregistre de nouvelles fondations de clubs et des matchs continuent à se tenir. Parmi ces clubs, celui de Graiguecullen fait figure d'exception et d'étrangeté, non originaire du comté mais intégré tardivement à celui ci. Fondé en tant que Graigue Young en 1886, le club concourait dans le comté de Laois jusqu'en 1904 et un changement de limites administratives dans les frontières des comtés. Le club, désormais connues sous le nom de Carlow Graigue, domina les sports gaéliques dans le comté jusqu'au milieu des années 1920 lorsque une gigantesque bataille rangée entre joueurs et spectateurs à l'occasion d'une finale de comté provoqua la suspension du club par le comté de Carlow et son retour illico à Laois.
Le départ de Graigue priva certes Carlow de son club le plus puissant mais on constata malgré tout des progrès significatifs à plusieurs niveaux. Les seniors disputèrent la finale du championnat de football du Leinster en 1934. Un nouveau terrain baptisé du nom de Matthew Cullen, un évêque récemment décédé et très pro-GAA, vit le jour en 1936. La même année, une ligue pour les écoles rurales fut créé. Pris dans leur ensemble, ces développements conséquents sur et hors des terrains expliquent grandement l'émergence d'une équipe senior compétitive dans les années 1940.
Les qualifications en série pour ces finales du Leinster durant la décennie 1940 entretinrent une dynamique et générerent un immense engouement dans la population. Cette période mit également en évidence la nette ascendance prise par le football. Le hurling existait, mais se montrait plus lent à émerger, mis à part peut être dans le sud du comté, limitrophes de terres traditionnelles de hurling comme Kilkenny et Wexford. Dans de telles conditions ( concurrence du football et proximité de puissants voisins), le hurling à Carlow ne dut sa survie qu'à la passion de quelques uns, soutenu à bout de bras par les efforts d'un très petit nombre de clubs.
On y comptait sept clubs de hurling en 2013.
Depuis le début du 21ème siècle, l'attention placée sur la formation semble porter quelques fruits et, du niveau senior aux catégories de jeunes, les indicateurs se redressent et le niveau du hurling à Carlow va en progressant: les minors sont même parvenus à disputer une finale provinciale en 2006, tandis que les seniors remportaient deux Christy Ring Cup (sorte de seconde division du All-Ireland). Partant d'une base aussi modeste, de tels résultats sont véritablement remarquables, même si les effets sont pour l'heure plus psychologiques que sportifs.
Un officiel du board constatait en 2010 "Ils [les joueurs] commencent a réaliser et à croire que c'est un honneur, une question de fierté, de porter ces couleurs, que porter les couleurs de Carlow est aussi significatif que porter les couleurs d'un autre comté, c'est déjà énorme".
La capacité à étendre la base du hurling nécessitera un effort de recrutement parmi les jeunes vivant à la ville, ou aux abords immédiats de son agglomération.
La raison est simple: en dépit de son aspect encore très rural, Carlow voit se développer une société de plus en plus urbaine et se concentrant de façon  toujours plus importante autour de la capitale du comté. Ceci résultant de la rapide expansion de la population connue par le comté du milieu des années 1990 au milieu des années 2000 (période dite du Celtic tiger), la ville de Carlow et son aire urbaine représentant alors plus de 40% de la population totale du comté.
Ce bouleversement d'ordre sociologique et démographique pose des questions majeures à la GAA à Carlow, moins en terme de taux de participation, d'infrastructures ou de de géographie du développement des clubs que sur les sports en eux mêmes, le développement de la ville de Carlow étant de nature à accroître d'avantage encore l'écart entre football gaélique et hurling. La ville est déjà largement dominée par le football et abrite deux clubs- Éire Óg et O'Hanranhan's- dominant la scène locale depuis la fin des années 1950, et qui, au travers de leurs récents bons résultats dans les All-Ireland de clubs, ont imposé  un modèle auquel aspire l'équipe du comté. Dans les années 1990, Éire Óg connut une réputation grandissante au niveau provincial, remportant les cinq finales du Leinster qu'ils disputa. À Carlow town, jamais le hurling n'a approché de tels résultats.
Pour l'anecdote et pour l'information des cinéphiles, l'équipe de Éire Óg apparait dans le film de Neil Jordan, Michael Collins, ou elle joue le rôle de celle de Tipperary dans la fameuse scène du bloody Sunday de Croke Park (Le club de Kilmacud Crokes incarnant Dublin).
Les défis auxquels est confrontée la GAA à Carlow sont comme on l'a vu, multiples et profonds, et sa capacité à les relever  déterminera sa faculté à demeurer un pilier essentiel de la vie du comté.

samedi 15 août 2015

Armagh (Ard Mhacha)

Kieran McGeeney 
Ce jour là, la pelouse de Croke Park est repeinte en orange. Des tribunes et des virages descendent les acclamations et les cris de bonheur de milliers de fans d'Armagh. On chante,  on danse, on s'étreint. Au moment où Kieran McGeeney soulève la Sam Maguire Cup, les larmes envahissent les visages des joueurs et des supporters.
En ce dimanche de septembre 2002, les rêves brisés des précédentes visites à Croke Park ne sont plus qu'un lointain souvenir évaporé dans l'air de Dublin. Et le fait que Kerry soit le L'adversaire vaincu apporte encore plus de valeur à cette victoire, la première pour Armagh dans une finale de All-Ireland.


En dépit du fait que des matchs de football fussent disputés sous l'égide de la GAA depuis 1886 et que la board d'Armagh ait été fondé le 24 mars 1889, le développement de ce sport va rencontrer de nombreuses oppositions. À commencer par celle du clergé catholique, pour partie en raison du fait que les matchs soient joués le dimanche, jour du seigneur, mais aussi en raison de la crainte exprimée par l'Église que l'association soit un repère d'activistes républicains.
Des récriminations qui portent, car Armagh se trouve être le coeur religieux historique de l'île et son archevêque le primat d'Irlande puisque le premier d'entre eux ne fut autre que St.Patrick lui même.
Mgr.Michael Logue

Le cardinal Logue par exemple, alerte sur l'effet démobilisateur de la GAA, tandis qu'un prêtre d'une paroisse locale fustige en avril 1889 à l'occasion d'une assemblée de la fraternité de la sainte famille à la cathédrale d'Armagh, la chute notable des affluences lors de l'office dominicale en raison de "la pernicieuse habitude de jouer ou d'assister aux rencontres du dimanche".
Ce même prêtre condamne encore l'ivrognerie et les disputes parfois violentes entourant régulièrement ces rendez-vous, poursuivant dans ces termes "le diable avait trouvé refuge parmi ces sociétés secrètes que sont le "fenianism" et le "ribbonism" (des groupes ayant choisi l'option de la violence et de la lutte armée contre le colon britannique), mais après que ces détestables sociétés furent condamnées et mis au ban par l'Église, le diable inventa ce satané jeu du dimanche qui, selon ses plans, provoque tant de dommages.
Il faut reconnaître que ces accusations ne sont pas dénuées de fondements car, après tout, le premier président du board d'Armagh n'était autre que Charles Cowan, chef de la fraternité républicaine irlandaise pour la province d'Ulster et membre du conseil supérieur de l'organisation au niveau national.
Mais si la politique n'était pas détachée du développement récent de la GAA à Armagh, elle ne prenait pas le pas sur l'importance qu'avait acquis le jeu en lui même au sein de la population.
En 1890, Armagh représenté par le club champion du comté, les harps d'Armagh, remporte le deuxième championnat d'Ulster auquel ne participe que les équipes d'Antrim et de Tyrone.
Après avoir aisément pris le dessus sur leurs adversaires en Ulster, les harps se voit désigner comme adversaire le club de Midleton, représentant le comté de Cork en demi-finale du All-Ireland au Clonturk Park de Dublin le 16 novembre 1890. Plus de 250 supporters font le voyage pour aller soutenir les leurs dans la capitale, accompagnés tout au long du voyage par le William O'Brien fife & drum band. Mais le joyeux carnaval prend fin dès les premières minutes de la rencontre, Armagh est balayé 0-0 à 1-14! Non seulement le champion d'Ulster n'inscrit pas le moindre point mais il ne parvient que très épisodiquement à porter le ballon dans la moitié de terrain adverse.
Ce naufrage deviendra d'ailleurs un thème de conversation récurent chez les footballeurs du comté durant plusieurs générations.
Comme dans la plupart des autres comtés, l'activité de la GAA s'effondre dans le courant de la décennie 1890. Et comme dans le reste du pays, les conséquences sur l'association de la chute de Charles Parnell ainsi que les divisions politiques internes pèseront de tout leur poids.
Cette perte d'influence de la GAA résulte aussi de la stagnation économique et de l'impact de l'émigration dans le comté.
Entre 1881 et 1901, Armagh perd 39.391 habitants. Une hémorragie qui touche en premier lieu les jeunes hommes en âge de pratiquer les sports gaéliques.
On assiste alors à une gigantesque régénération par la base et la jeunesse, et il faudra une bonne douzaine d'années et une refondation complète du board pour assister à une véritable renaissance.
Durant cette période de transition, Armagh  continue toutefois d'être représenté par une équipe dans les compétitions inter-comtés, et après une défaite en finale en 1901, c'est un deuxième sacre en Ulster l'année suivante. Cette même saison, plus de 400 personnes font le voyage pour Drogheda ou leurs favoris doivent affronter Dublin, championnat  du Leinster, en demi-finale du All-Ireland. Une nouvelle fois, Armagh est facilement dominé, et la défaite est attribuée pour une bonne part...à un gazon trop haut, entravant leur jeu de dribble typique et leur style plus calqué sur le soccer. Cette appétence à remonter patiemment le ballon sans systématiquement sauter les lignes semble avoir perduré à Armagh bien plus longtemps que dans la plupart des comtés; l'une des autres caractéristiques du jeu d'Armagh réside dans un style dit du "ballon dansant" et consistant à faire rebondir la balle sur le dessus de la main. Une tradition qui, selon Con Short, historien attiré de la GAA à Armagh se perpétua jusque dans le courant des années 1920.
Les décennies suivantes furent marquées par l'une des plus terribles séries d'échec dans l'histoire de la GAA. En 1950, Armagh comptait douze défaites en finales provinciales (dont huit concédées contre le seul Cavan), et aucun titre à son actif.
Les tensions politiques propres à tout l'Ulster n'épargne pas Armagh. En 1910, le club de Lurgan Davitts est contraint de disputer ses rencontres dans les comtés de Down et Antrim plus au nord (région de Belfast) en raison des risques possibles lors des traversées de zones à risques dans le nord du comté d'Armagh. En octobre de cette même année, le club de Castleblayney Faughs dut essuyer des jets de pierres au retour d'un match aux alentours de la ville de Newtonhamilton.
L'identification de la GAA au mouvement nationaliste est encore plus évidente dans le comté d'Armagh. Frank Aiken, acteur majeur de la guerre d'indépendance et futur membre du gouvernement sous l'étiquette du fianna fáil avait pratiqué le football gaélique avec le club de Camlough et jouira toujours d'une grande popularité dans les cercles de la GAA.
Bien des années plus tard, lorsque le président De Valera avoua à l'ambassadeur britannique en Irlande, sir Andrew Gilchrist,  "préférer le rugby au football gaélique, car ce dernier n'étant qu'un agrégat d'autres sports pas d'avantage propres à l'Irlande", M.Aiken y alla de sa tirade "non monsieur l'ambassadeur, le football gaélique n'est pas un agrégat de sports, c'est un jeu vieux de plusieurs siècles et surtout c'est un jeu splendide".



L'instauration après le traité anglo-irlandais de 1922 de la frontière entre l'état libre (puis la république à partir de 1948) et l'Irlande du Nord provoquera de nombreux désordres dans l'organisation des matchs et des compétitions pour certains clubs du sud du comté,  et notamment pour le plus fameux d'entre eux , Crossmaglen Rangers dont l'arrière pays naturel courrait jusqu'à Dundalk ou Castleblayney (comté de Louth en république d'Irlande). L'établissement d'une sorte de zone tampon frontalière rendait les déplacements dans ces zones plus contraignants.
Les conséquences furent un déclin économique du comté, menant à une nouvelle vague d'émigration et une nouvelle chute drastique du nombre de clubs affiliés à la GAA. Des sociétés autrefois prospères comme la McConville mill and Bakery durent aussi mettre la clef sous la porte. En dépit de cette conjoncture défavorable, les Crossmaglen Rangers enregistreront des succès notables, remportant 5 titres consécutifs de champion du comté dans les années 1920. Un autre club tire son épingle du jeu, Armagh young irelands, qui interrompt l'hégémonie des rangers en remportant 5 titres en sept ans et en fournissant l'une des plus grandes vedettes de cette période,  "big" Jim McCullough. Ce dernier remportera au total 7 titres de champion d'Armagh et représentera l'Ulster durant plus d'une décennie dans la défunte railway cup (compétition inter-province) dans les années 1940.
Durant la fameuse série de défaite, celle concédée en 1938 reste probablement comme la pire de toutes. Après avoir pris le meilleur sur sa bête noir, Cavan, en demi-finale du championnat d'Ulster, Armagh s'incline de trois points en finale contre Monaghan et l'arbitre, M Hughie O'Reilly, lui même joueur de...Cavan doit fuir le stade sous escorte.
Le comté enregistra toutefois un premier succès au niveau national puisque le St.Patrick's College d'Armagh remporta la Hogan Cup (compétition inter-lycées de référence) en 1946 aux dépends de St.Jarlath's (lycée de Galway).
En 1948, les juniors s'inclinent d'une courte tête en finale du All-Ireland de la catégorie face à Dublin. L'année suivante, les minors parviennent eux à décrocher la timbale en battant Kerry en finale. Le fait marquant de la partie fut le but somptueux inscrit par le capitaine Seán Blayney, slalomant dans la défense adverse depuis le milieu de terrain pour décrocher un tir de près de 20 mètres. Cette victoire fit incontestablement passer un cap décisif au comté tout entier et se répercutera jusqu'au niveau senior.
Plus de 30.000 personnes assistent en 1950 à la victoire de 4 points
d'une jeune équipe d'Armagh sur un Cavan pourtant au fait de sa gloire. Un match somptueux qui fait dire au journal l'Anglo-Celt que "si le football gaélique était toujours pratiqué de cette façon, aucun autre sport collectif au monde ne pourrait lui arriver à la cheville" .
Les espoirs nés de cette belle campagne en Ulster sont pourtant bientôt douchés, car Armagh vient buter sur une grosse équipe de Mayo en demi-finale du All-Ireland.
Il faudra trois ans pour digérer pleinement cet échec et retrouver Croke Park après un nouveau titre en Ulster.

Armagh retrouve Kerry en finale de ce All-Ireland 1953 (vidéo ci dessus), et ils sont plus de 86.000 à s'être massés dans l'enceinte de St.Jone's road, tandis que 3.000 autres doivent rester à l'extérieur de stade et suivre la rencontre grâce aux commentaires radio de Michael O'Hehir. Mais Kerry s'impose de peu et laisse Armagh à ses regrets.
Les désillusions seront légions dans les années qui suivirent et la décennie 1960 fut marquée par des luttes intestines et contre productives entre clubs. La décennie 1970 et au delà verra le comté frappé de plein fouet par les troubles qui secouent la province. Les répercussions sur le bon fonctionnement de la GAA à Armagh sont inévitables et l'un des faits majeurs de cette période reste la réquisition du terrain des Crossmaglen Rangers, utilisé comme air d'atterrissage pour les hélicoptères de la royal air force. Cet épisode devint un parfait symbole de la militarisation du quotidien des habitants. On entend aussi le surnom de "bandit county" (un terme datant de 1975) donné au sud du comté par la secrétaire d'état britannique à  l'Irlande du Nord, Merlyn Rees, cette dernière dénonçant cette zone comme un bastion de l'IRA.
Sur un plan purement footballistique, le fond du trou est probablement touché lorsqu'en 1973, Armagh arrive à Carrick-on-Shannon pour y affronter Leitrim avec...quatorze joueurs, dont deux gardiens.
Les quatre années qui suivent verront la mise en place d'un véritable projet de restructuration ayant pour but affiché d'atteindre de nouveau la finale du All-Ireland.
Si la fin des années 1970 reste dans l'esprit de chacun comme une ère de domination de Dublin et Kerry, la qualification d'Armagh pour la finale 1977 après un cinquième titre de champion d'Ulster reste un triomphe de la détermination, même si il s'achève sur une défaite nette contre le grand Dublin de coach Heffernan (3-06 à 5-12).

Crossmaglen compte également 10 titres de champion d'Ulster des clubs.
Si le club de Clan Na Gael, basé à Lurgan, avait été le premier d'Armagh a disputer une finale de All-Ireland (perdue en replay contre UCD-Dublin, les Rangers peuvent eux se targuer d'avoir connu la consécration nationale à six reprises (la dernière en 2012).
Les Crossmaglen Rangers avant la finale de 2002
Les années 1990 sont la période faste du comté. Les Crossmaglen Rangers entraînés par Joe Kernan passe de formation phare sur le plan local à l'un des clubs les plus titré de l'histoire de football gaélique. Entre 1996 et 2014, les Rangers remportent 18 titres de champion d'Armagh dont 13 consécutifs, soit une domination quasi sans partage sur le comté. Le total (à ce jour) de 42 titres de champion d'Armagh en fait le club le plus récompensé (tout comtés confondus).

Érigée sur une large base de cette équipe de Crossmaglen, Armagh bâti une formation qui va dominer l'Ulster durant près d'une décennie, remportant huit titres de champion provincial entre 1999 et 2008; une performance qui prend tout son sens lorsqu'on se souvient que cette ère fut sans doute la plus compétitive dans l'histoire de ce championnat déjà relevé.


Armagh toucha enfin au but en 2002 grâce notamment à une seconde période mémorable lors de cette finale contre Kerry (1-12/0-14). Même si les déceptions succédèrent aux déceptions lors des championships suivants, Armagh parvint tout de même à décrocher le titre en National Football League (la seconde compétition nationale en ordre d'importance) en 2005. les minors eux conquièrent en 2009 leur second sacre en All-Ireland après celui obtenu 60 ans plus tôt tandis que les U21 connaissaient en 2004 leur premier couronnement national en dominant Mayo.
La place d'Armagh comme place forte du football est donc solidement établie, et la fin du conflit dans le comté et la province semble enfin offrir un réel espoir de pérennisation pour ce troisième siècle d'existence, même si la relève de la génération dorée de la glorieuse décennie se fait encore attendre.

jeudi 6 août 2015

Antrim (Aontroim)


Le 15 août 1969 un régiment de l'armée britannique, le queen's regiment, est déployé dans les rues de Belfast, nom de code "opération etandard".  Depuis plus d'un an, des violences sporadiques secouent Belfast et Derry, opposant les nationalistes irlandais alternativement aux forces paramilitaires loyalistes et à la police.

En avril 1969 le quotidien irish news décrit ces émeutes à répétition comme étant "la vague de violence la plus destructice depuis plus d'un demi siècle".
On assiste alors, mois après mois, à une montée lente mais très perceptible dans l'intensité des affrontements dans la province.
Le déclenchement de la bataille du bogside à Derry  le 12 août 1969 provoque un effet de contagion et les troubles touchent bientôt Belfast. Le 15 août, Londres ordonne un déploiement massif de troupes en Ulster, la police nord irlandaise s'étant montrée impuissante ou bien peu empressée à empêcher les troupes loyalistes d'incendier des centaines de maisons lors des violences touchant principalement le quartier d'Ardoyne, véritable bastion de la révolte catholique et nationaliste.

L'une de ces demeures était celle de Michael Culbert, membre de l'équipe de football des U21 d'Antrim appelée à disputer une demi finale de All Ireland deux semaines seulement après les événements.
L'adversaire d'Antrim pour cette demi-finale est Cork, et un avion de la compagnie Aer Lingus est spécialement affrété par le gouvernement irlandais pour convoyer le groupe à destination. À l'issue d'une rencontre à rebondissements, les joueurs d'Antrim parviennent à laisser derrière eux le tumulte et la violence des troubles pour s'imposer d'une courte tête 3-07/1-12.
Opposé à Roscommon en finale , Antrim réalise encore des prouesses, débutant pourtant dans la douleur, en manque de condition, pour s'imposer une nouvelle fois par le plus petit des écarts 1-08/0-10.
La victoire provoquera des scènes de pur bonheur et au moment où le capitaine Liam Doyle reçut la coupe, on pût entendre retentir le fameux chant de la lutte pour les droits civiques "we shall overcome" repris par les fans des jaunes et blancs.
La réception de l'équipe à son retour à Belfast fut à la hauteur de l'événement, rassemblant les membres de la GAA et  bien au delà, pour un gigantesque céilí (équivalent irlandais du fest noz breton) dans l'enceinte du St.Teresa Hall.
L'année suivante, Antrim s'incline en finale du championnat d'Ulster des moins de 21 ans face au tenant de Derry, les deux comtés semblent alors s'imposer comme les futures puissances de la province mais la dureté du conflit qui secoue toujours plus fort le nord de l'île provoque la dislocation de cette génération pourtant prometteuse et surtout la descente aux enfers du comté, relégué au rang de victime expiatoire dans la province. Durant le quart de siècle qui suit, Antrim ne remportera en effet que quatre petits matchs de championship au niveau senior.
Si la plupart des joueurs de cette génération ne furent pas directement impliqués dans les troubles, certains passèrent tout de même de longues années en prison, d'autres y laissant même la vie.
L'impact de ce conflit durant ces années de plomb sera ravageur sur l'élan pourtant prometteur qui semblait porter cette équipe au potentiel gigantesque, et Antrim retourna alors au vide footballistique.
L'équipe d'Antrim fut la première véritable puissance du football en Ulster au début du 20ème siècle , remportant les titres provinciaux en 1900 et 1901, parvenant même à décrocher six titres de suite entre 1908 et 1913. Par son organisation et son style, Antrim apporte un souffle nouveau en Ulster, même si celui ci n'est pas toujours favorablement accueilli.
Des commentaires acerbes suivent leur victoire en demi finale du championnat d'Ulster 1910 contre Monaghan, le Dundalk democrat critiquant notamment l'équipe d'Antrim pour ses tactiques trop calquées sur celle du soccer au mépris des tactiques traditionnelles et plus conventionnelles de leurs adversaires.
Avant l'émergence d'Antrim, les représentants de la province étaient régulièrement dominés en demi finale du All-Ireland. Après s'être inclinés de peu face à Louth en demi finale du All-Ireland 1909, ils parviennent l'année suivante à atteindre la finale en s'imposant face à Kilkenny qui disputa d'ailleurs à cette occasion sa dernière demi finale nationale en football.
Cette victoire marque un événement de taille puisque c'est là la première fois qu'une équipe d'Ulster se qualifie pour la grande finale nationale.
Cette finale, disputée à St.Jone's road (l'ancien nom de Croke Park), fut certes perdue assez nettement face à Cork (6-06/1-02), mais le simple fait d'avoir atteint ce niveau de compétition pouvait être vécu comme une victoire.
Le président de l'Ulster GAA, Patrick Whelan, saluera d'ailleurs le comté dans un discours aux accents très politique  "Antrim a fait preuve d'une unité et d'une détermination remarquable pour briser les barrières du "West britainism" (une expression au ton péjoratif désignant l'assujettissement à la couronne par une forme de collaboration), si solidement érigée à Belfast pour entraver le gael, les Gaels ont percés les lignes du colon et leurs étandards flottent fièrement sur l'Irlande"
L'année suivante, Antrim revient à nouveau au plus haut niveau. Outsider total contre Kerry en demi-finale, ils s'imposent pourtant avec une étonnante facilité 3-05/0-02. La légende noire veut que les joueurs de Kerry se soient montrés des hôtes très enthousiastes lors d'un mariage la veille du match, mais la vérité réside surtout dans la variété des combinaisons de jeu d'Antrim ainsi que dans leur préparation physique irréprochable  (chose pas nécessairement encore tres répandue à l'époque).
La finale face à Louth sembla longtemps leur sourire, plus encore après le premier but de la partie inscrit à un quart d'heure du terme, mais l'heure du premier sacre pour une formation d'Ulster n'était pas encore venue car Louth devait recoller pour finalement s'imposer de cinq points.
1913 les voit conserver leur titre provinciale mais s'écrouler en demi-finale nationale face à Wexford, puissance montante du football dans cette décennie et sur la voie d'une série de quatre All-Ireland consécutifs.
La traversée du désert sera longue, et durera plus de trente ans, il faudra attendre 1946 pour voir à nouveau le comté remporter le championnat d'Ulster. Antrim met donc cap au sud sur Croke Park avec un certain optimisme et ce, non sans raisons. Leur jeu offensif d'une grande fluidité, basé sur un jeu de passes courtes à la main et des courses en solo à fait merveille jusqu'alors en Ulster, avec un Kevin Armstrong exceptionnel au poste d'avant centre. Cavan en quête d'un huitième titre consécutif en Ulster doit plier à  l'issue d'une superbe finale provinciale disputée à Clones devant plus de 15,000 personnes.
Antrim devenait ainsi le premier comté champion d'Ulster a ramener le trophée dans les frontières de l'Irlande du Nord (depuis la partition du pays en 1922).

Ils sont 30,000 à prendre le chemin de Croke Park pour voir les leurs affronter le monstre Kerry. Dès le départ, Kerry adopte un style ultra physique,  barrant la route aux coureurs en appui comme aux porteurs du ballon. À la radio, le journaliste Michael O'Hehir décrit alors un véritable champ de bataille avec en fond sonore les huées de la foule contre Kerry, ces derniers s'imposant grâce à un but de Batt Garvey en fin de rencontre, laissant un Antrim totalement dévasté.
La fin des années quarante s'avère délicate pour Antrim qui voit Cavan posséder sa plus belle génération et remporter les All-Ireland 1947 et 1948.
En 1951, Antrim renoue avec le succès provincial, mais le retard à l'allumage contre Meath en demi-finale s'avérera fatal et malgré un retour désespéré, ils viennent se fracasser à deux petits points des royals.
Cette échec marque un coup d'arrêt , Antrim n'a pas réussi à toucher le graal même si il est acqui que leur style de jeu a largement contribué à révolutionner le football de cette période. Antrim n'a à ce jour plus jamais remporté de titre provincial, disputant toutefois la finale de l'Ulster en 2009 perdue contre le vainqueur du All-Ireland 2008, Tyrone.
Si les sections football ne brillent plus depuis belle lurette, Antrim demeure incontestablement LA puissance numéro 1 en Ulster en ce qui concerne le hurling.
Seule comté de la province à avoir jamais atteint la finale du All-Ireland, les saffrons monopolisent les titres , avec 56 trophées de champion d'Ulster senior, 24 titres en U21 et 54 en catégorie minor. Aucun comté en Ulster, province quasi exclusivement dédiée au football, ne peut, et de très loin, prétendre à un tel palmarès, Derry et Down qui sont ses dauphins ne comptabilisent que 4 malheureux titres au niveau senior. L'explication vient essentiellement du fait qu'Antrim compte bien plus de clubs de hurling que n'importe quel autre comté dans cette province.
Ce sport y est promu avec ferveur, des Glens à Ballycastle et de Loughgiel à Cushendall en passant par Dunloy, le hurling est de très loin, le sport roi.
Dans les grands bastions du comté, le hurling est traité avec une passion similaire à celle que l'on peut rencontrer dans tout les fiefs traditionnels de ce sport dans le sud de l'île et des clubs de Belfast comme Mitchel's, O'Connell's, O'Donovan's Rossa ou encore St.Gall's
figurent parmi les clubs habitués aux phases finales nationales.
Cette passion est le reflet d'une tradition remontant aux origines de la GAA et à sa fondation en 1884. On sait que des sports avec bâton et balle, formes originelles du hurling et nommées cammon/commons/camán ou encore shinny sont pratiquées dans le comté d'Antrim tout au long du XIXème siècle.  Si la fréquence de la pratique de ces sports décline sensiblement après la grande famine, elle ne disparaît pas et ces formes variés de hurling non codifiées survivent même à la fondation de l'association athlétique gaélique. Dans les années 1880, un match resté légendaire et opposant Cushendall à Ballyeamon voit une centaine de joueurs dans chaque équipe tenter de faire passer une petite balle de bois entre des buts faits de tas de cailloux.
Ce n'est qu'à l'occasion de l'établissement en 1904 du Feis na nGleann, festival annuel célébrant la culture irlandaise créé dans la somptueuse région des montagnes d'Antrim (the Glens of Antrim), que le hurling ainsi nommé par la GAA prend définitivement le pas sur les autres formes de jeu.
A cette date, la pratique du hurling se développe jusqu'à la ville de Belfast à proprement parler , et l'un des historiens de la GAA, Dónal McAnallen, révèle d'ailleurs les efforts constants du fondateur Michael Cusack à promouvoir la pratique du hurling sur l'aire urbaine de la grande cité du nord, et ce longtemps après qu'il ait pourtant quitté son poste de secrétaire général de l'association, ce dernier nourrissant en effet une affection durable et certaine pour la ville.
La fondation de nombreux clubs et l'organisation de compétitions de hurling dans la ville au début du XXème siècle conduite par des hommes tel que Bulmer Hobson favorise l'implantation du hurling dans le comté.
En 1901, sept clubs assurent la promotion du jeu dans la ville et l'ambition est clair, "la pratique du vieux sport doit être un puissant facteur permettant de rendre Belfast aussi irlandaise qu'elle ne fut anglaise par le passé".
En réalité, l'élan pris au début du siècle s'atténuera tout au long des décennies suivantes, et même si Antrim conserve son incontestable leadership sur la province, il demeure incapable de concrétiser au niveau national.
Si on se souvient des progrès réels accomplis dans les années 1940 par le comté en football, c'est encore une fois le hurling qui permet au comté de se rapprocher du succès.
En 1940, Antrim créé la sensation en dominant Laois en demi-finale du All-Ireland Minor de hurling avant de s'incliner de peu face à Limerick en finale. Un grand nombre de joueurs de cette génération minor composera d'ailleurs l'ossature de l'équipe senior qui réalise un parcours exeptionel dans le All-Ireland 1943. C'est d'abord Galway qui vient s'incliner en quarts de finale de trois points à Belfast avant que le grand Kilkenny ne tombe au Corrigan Park dans des conditions météo dantesques.
Les saffrons deviennent la première équipe issue d'Ulster à atteindre la grande finale nationale en hurling.
En finale, Antrim est opposé à une équipe de Cork constellée de stars telles que Jack Lynch évoluant au milieu, ou encore le légendaire Christy Ring au poste d'avant centre.
Ce sont 48.843 qui prennent place à Croke Park, constituant alors la 3ème meilleur affluence jamais enregistrée dans la grande enceinte dublinoise. Les rues de Belfast sont désertes et c'est une clameur gigantesque qui accueille les hurlers à leur entrée sur la pelouse.
Au moment du toss d'avant match, le traditionnel échange des présents voit les deux capitaines échanger du beurre et du thé, deux produits considérés comme luxueux en cette période de privation due au conflit mondial.
Les hurlers d'Antrim, dépassés par l'enjeu, sont laminés par une impitoyable équipe de Cork menant déjà de 18 points à la pause. Antrim s'inclinant finalement 0-04 à 5-16. Un coup très dur porté au hurling à Antrim et en Ulster.
Le cauchemar de 1943 se reproduira presque à l'identique en 1989. Antrim remporte un nouveau trophée de champion d'Ulster contre Down avant de battre Kildare en quarts du All-Ireland et de retrouver Offaly en demi-finale.
Cette formation d'Offaly est composée d'éléments expérimentés ayant déjà remporté deux All-Ireland plus tôt dans le courant de cette décennie 80 et de jeunes talentueux venant de récolter trois titres nationaux en quatre ans.
Antrim parvient au prix d'une deuxième mi-temps fabuleuse, à s'imposer de trois point. La fin du match donne à voir l'une des images restée dans l'histoire du hurling, les joueurs d'Offaly formant une haie d'honneur à leur vainqueur à la manière des rugbymens.
Mais, comme quarante six ans plus tôt, la dernière marche reste trop haute et Antrim s'écroule face à Tipperary  (3-09/4-24) et son attaquant star, le grand Nicky English auteur de 2 buts et 12 points ce jour là.
Antrim a continué depuis à sortir de très belles équipes mais aucune n'est parvenue à atteindre ce niveau de la compétition.
Si le comté attends toujours son premier sacre national, les équipes de clubs elles, ont déjà conquis des titres tant en hurling qu'en football.
Il faut également se souvenir que le club du West Belfast de St.John's fut l'un des éléments moteur dans la création d'un championnat All-Ireland des clubs.
Dans les années 1960, le club est à l'origine d'un tournoi évoluant rapidement vers une sorte de championnat d'Ulster des clubs. Une motion fut déposée par le conseil GAA de l'Ulster lors de la convention annuelle a Croke Park conduisant à la création du premier championnat national des clubs en 1971.
En 1983, le club des Loughgiel Shamrocks devient le premier d'Ulster a remporter le titre national, s'imposant en finale face au champion d'Offaly, St.Rynagh's, avant de rééditer en 2012 contre Coolderry, autre représentant d'Offaly.
Dans les années 90 et 2000, Dunloy fut à plusieurs reprises proche de rééditer l'exploit.
En 2010, ce fut au tour des footballeurs de St.Gall's de connaître la consécration après une première tentative infructueuse en 2006, ils prennent le meilleur sur le champion du Clare,  Kilmurray-Ibrickane.

Un titre national qui confirme leur statut de force incontournable dans le comté, car même si le voisin de St.John's demeure le plus titré au niveau local avec 24 titres, St.Gall's en compte lui 15 dont 14 remportés depuis 1982.
La GAA est donc solidement implantée à Belfast même si le grand défi, bien plus que dans le reste du pays, consiste à lutter pied à pied avec le soccer, spécialement dans la classe ouvrière.
Du sort de cette "bataille", dépend l'issue de la lutte pour faire d'Antrim une place forte nationale dans les compétitions inter-comtés.

lundi 3 août 2015

All-Ireland Minor - Tipperary, l'exemple!

Un petit mot du All-Ireland Minor dont les quarts (au moins deux sur quatre) se disputent traditionnellement chaque lundi de bank hollyday weekend au mois d'août.
Kildare et Derry avaient déjà composté leurs billets depuis samedi et ont donc été rejoints par Kerry, net vainqueur de Sligo (2-12/1-06) et Tipperary qui a sorti Galway (1-10/0-06) pourtant favori.
Une mention spéciale pour le premier county, plus habitué aux succès en hurling, et qui obtient de plus en plus régulièrement des résultats significatifs dans les catégories de jeunes, les bleus et or peuvent légitimement espérer rééditer le coup de 2011 (année qui les avaient vu dominer Dublin en finale).
L'une des pépites de ce Tipperary cru 2015 se nomme Alan Tynan, un demi offensif qui compte déjà trois saisons au compteur dans cette catégorie.
Tynan est un dual player puisqu'il fait également partie de l'effectif de l'équipe des U21 du comté, et pour couronner le tout le garçon est un rugbyman prometteur jouant en college pour le Cistercian College Roscrea (avec lequel il a remporté le championnat du Leinster), étant également membre de la leinster rugby academy, la couveuse de l'une des meilleures formations en Europe.
Il faut saluer au passage le remarquable travail entrepris depuis maintenant près d'une décennie dans les catégories de jeunes et qui rejaillit sur les seniors auteurs d'une saison très honorable, 3ème en Division 3 de la League et qui, après avoir opposé une résistance significative à Kerry en 1/2 finale du Munster, sont tombés sur Tyrone au 3ème tour de qualification.
Les 1/2 finale du All-Ireland Minor opposeront Kerry à Derry  (le 23 août) et Tipperary à Kildare  (le 30 août).

dimanche 15 février 2015

Le blog est mis en sommeil pour une durée indéterminée et pour cause de reprise d'études + vie pro + vie de famille..., vous pouvez suivre l'actu du football gaélique en version française ici