All-Ireland 2018

Les 32 comtés au crible

mardi 18 août 2015

Carlow - (Ceatharlach)



Nous sommes en Août 1944,  il faut compter une bonne demi-journée de voyage pour accomplir les 80km séparant de Dublin.

Le petit groupe quitte Carlow ce samedi après midi de mois d'août, les vélos mettent le cap sur Dublin, via le Wicklow, traversant Tullow, Rathvilly, Blessington. C'est seulement lorsqu'ils atteignent Tallaght dans la banlieue sud ouest de la capitale qu'ils posent pour la première fois le pied à terre. La petite troupe pousse les portes d'un pub, il est huit heure du soir et les gars, fourbus et affamés décident de passer la nuit dans l'établissement.
Le lendemain, une fois la messe dite, le groupe est gonflé à bloc et entame l'ultime partie du trajet.
"Ce voyage nous a fortifiés". L'un des participants au voyage raconta plus tard "nous, on se sentait invincibles depuis la veille et surtout gonflés à bloc pour soutenir Carlow!".
L'équipe championne du L

En matière de football gaélique, en plus d'être rare, il faut avouer que l'occasion de supporter Carlow à ce niveau de compétition et à cette période de l'année était carrément sans précédent. Nous étions en 1944, Paris se libèrait à peine et les coqs de combat était qualifiés pour leur toute première demi-finale de All-Ireland.
Si le match s'acheva sur une défaite pour Carlow, l'histoire était écrite. Quelques semaines auparavant, les footballeurs du comté avaient brillamment défait Dublin en finale du Leinster à Athy (Dublin étant trop exposé au bombardements), une victoire qui déclencha une vague d'émotion et d'intérêt à travers tout le pays. À Carlow town même, des feux furent allumés aux quatre coins de la ville et des rassemblements festifs s'organisèrent spontanément. Le nationalist and Leinster Times rapporte ces scènes de joie, on sorti les gramophones, les accordéons et l'on dansa autour des feux jusque tard dans la nuit.
Même si le titre de champion du Leinster 1944 est une grande première, il ne vient pas de nulle part, ne sort pas du néant,  tant depuis quelques saisons, Carlow s'est imposé comme un client solide et régulier dans la province.
C'est durant cette période de crise, de rationnement de nourriture et de fuel due au conflit mondial, que le comté dispute trois finales provinciales en quatre saisons. Deux de ces finales furent perdues en jouant de malchance et après d'importantes controverses. Après avoir atteint pour la première fois une finale provinciale en 1941, l'équipe de Carlow fut frappé par une épidémie de fièvre aphteuse et ainsi contraint au confinement. Lorsque décision fut prise de re-programmer la finale en novembre, les enjeux agricoles et industriels prirent cette fois le pas sur les enjeux sportifs. La préparation d'une grande partie de l'effectif fut en effet interrompue par la récolte des betteraves pour la sucrerie locale, grand pourvoyeur d'emplois depuis 1926.
Carlow revint la saison suivante pour disputer la finale de l'édition 1942 du championnat du Leinster. Mais une fois encore Dublin pris le dessus.
Carlow interrogea alors l'éligibilité de certains joueurs adverses, pointant du doigt une violation du bannissement de ces derniers pour avoir "assisté à des sports étrangers". La requête fut balayée par le président de la GAA, Seamus Gardiner, qui nia les preuves apportée par un témoin ayant vu des joueurs de Dublin pénétrer dans un stade de rugby, sur la base que ce dernier n'était pas membre du comité de vigilance (une section secrète de la GAA, alors chargée de s'enquérir de la façon dont les membres profitaient de leur temps libre). Une démarche évidemment très intéressée de la part des instances du Carlow GAA, mais inconsciente du danger que cela pouvait causer à certains petits clubs forcés de composer pour utiliser des terrains appartenant à des clubs pratiquant d'autres sports.
Pourtant, au delà de cet aspect, on constate que pour certains, comme le président du Carlow GAA, Thomas Ryan, la règle instaure une distinction aussi claire que légitime entre les sports gaéliques et les sports étrangers "le code vise à la justice morale entre chaque homme, à l'égalité et au droit pour le droit, et ce, quels que soient les conséquences, voilà la différence de nature profonde avec les sports étrangers joués par appât du gain. D'où le bannissement".
L'attitude vis à vis du bannissement évolua à différentes vitesses selon les comtés, et le vent du changement fut peut être plus fort dans le Carlow qu'ailleurs: plus de dix ans avant l'abolition du bannissement en 1971, Carlow fut ainsi le premier comté a demander le retrait de la motion cloisonnant les sports gaéliques et étrangers. Un délégué déclarant simplement "au final, ça n'aura strictement servi à rien".
Cette prise de position révèlait en tout cas la confiance qui habitait désormais la GAA concernant la place que les jeux gaéliques occupaient dans la culture sportive locale. Cela n'était  pas un mince exploit en effet, sachant qu'à Carlow, comme ailleurs,  la GAA était arrivée assez tardivement en ce qui concerne l'organisation de compétitions.
La création des premiers clubs de sports (soccer, rugby ou cricket) est antérieur parfois d'une décennie avant la fondation de la GAA et remonte à une période où la structure sociale du comté est encore largement agricole et sujète à de profonds bouleversements.
Durant la seconde moitié du 19ème  siècle, les effets tragiques de la grande famine sont partout visibles. Pour commencer, la population du comté - la deuxième la plus faible du pays démographiquement- est partie en chute libre: entre 1841 et 1881, la mort et l'émigration combinées réduisent le nombre d'habitants de près de moitié: la population chutant de 86.228 à 46.588.
Parmi les survivants restés au pays, un certain Colonel Horace Rochfort of Glogrennane, propriétaire de vastes étendues dans tout le comté et figure majeure du développement sportif initial à Carlow.
Colonel Horace Rochfort 

La passion de Rochfort pour le sport était assez éclectique et son talent d'organisateur phénoménal: il fonda le Carlow Cricket Club, mais également le Carlow Polo Club et le Carlow Rugby Club.
L'origine de tout ces clubs est antérieur à la création de la GAA et font appel essentiellement aux fermiers protestants ainsi qu'à la classe marchande protestante, avant de s'ouvrir progressivement à un nombre plus important de catholiques.
Voilà le contexte dans lequel émerge la GAA à la fin du 19ème siècle. L'association offrait quelque chose de différent par rapport à ces clubs déjà établis, ouvrant bien souvent la pratique du sport à de nouvelles classes sociales, petits fermiers et ouvriers nationalistes. Malgré cela, le développement de l'association dans le comté est moins spectaculaire que dans d'autres. Il faut attendre 1888 avant que ne soit tenu le premier conseil et mars 1889 pour assister au premier match de championnat du comté entre Carlow et Donore à Ballybar, sur un site réputé de course de chevaux. Au cours des décennies suivantes, et plus encore que dans le reste du pays, la croissance des jeux gaéliques est entravée par la chute de Parnell (voire affaire Kitty O'Shea) et une administration locale défaillante. Une réalité cruellement mis en lumière par la tenue de seulement neuf conventions en l'espace de vingt et un ans entre 1898 et 1919.
Nonobstant ces faiblesses administratives, on enregistre de nouvelles fondations de clubs et des matchs continuent à se tenir. Parmi ces clubs, celui de Graiguecullen fait figure d'exception et d'étrangeté, non originaire du comté mais intégré tardivement à celui ci. Fondé en tant que Graigue Young en 1886, le club concourait dans le comté de Laois jusqu'en 1904 et un changement de limites administratives dans les frontières des comtés. Le club, désormais connues sous le nom de Carlow Graigue, domina les sports gaéliques dans le comté jusqu'au milieu des années 1920 lorsque une gigantesque bataille rangée entre joueurs et spectateurs à l'occasion d'une finale de comté provoqua la suspension du club par le comté de Carlow et son retour illico à Laois.
Le départ de Graigue priva certes Carlow de son club le plus puissant mais on constata malgré tout des progrès significatifs à plusieurs niveaux. Les seniors disputèrent la finale du championnat de football du Leinster en 1934. Un nouveau terrain baptisé du nom de Matthew Cullen, un évêque récemment décédé et très pro-GAA, vit le jour en 1936. La même année, une ligue pour les écoles rurales fut créé. Pris dans leur ensemble, ces développements conséquents sur et hors des terrains expliquent grandement l'émergence d'une équipe senior compétitive dans les années 1940.
Les qualifications en série pour ces finales du Leinster durant la décennie 1940 entretinrent une dynamique et générerent un immense engouement dans la population. Cette période mit également en évidence la nette ascendance prise par le football. Le hurling existait, mais se montrait plus lent à émerger, mis à part peut être dans le sud du comté, limitrophes de terres traditionnelles de hurling comme Kilkenny et Wexford. Dans de telles conditions ( concurrence du football et proximité de puissants voisins), le hurling à Carlow ne dut sa survie qu'à la passion de quelques uns, soutenu à bout de bras par les efforts d'un très petit nombre de clubs.
On y comptait sept clubs de hurling en 2013.
Depuis le début du 21ème siècle, l'attention placée sur la formation semble porter quelques fruits et, du niveau senior aux catégories de jeunes, les indicateurs se redressent et le niveau du hurling à Carlow va en progressant: les minors sont même parvenus à disputer une finale provinciale en 2006, tandis que les seniors remportaient deux Christy Ring Cup (sorte de seconde division du All-Ireland). Partant d'une base aussi modeste, de tels résultats sont véritablement remarquables, même si les effets sont pour l'heure plus psychologiques que sportifs.
Un officiel du board constatait en 2010 "Ils [les joueurs] commencent a réaliser et à croire que c'est un honneur, une question de fierté, de porter ces couleurs, que porter les couleurs de Carlow est aussi significatif que porter les couleurs d'un autre comté, c'est déjà énorme".
La capacité à étendre la base du hurling nécessitera un effort de recrutement parmi les jeunes vivant à la ville, ou aux abords immédiats de son agglomération.
La raison est simple: en dépit de son aspect encore très rural, Carlow voit se développer une société de plus en plus urbaine et se concentrant de façon  toujours plus importante autour de la capitale du comté. Ceci résultant de la rapide expansion de la population connue par le comté du milieu des années 1990 au milieu des années 2000 (période dite du Celtic tiger), la ville de Carlow et son aire urbaine représentant alors plus de 40% de la population totale du comté.
Ce bouleversement d'ordre sociologique et démographique pose des questions majeures à la GAA à Carlow, moins en terme de taux de participation, d'infrastructures ou de de géographie du développement des clubs que sur les sports en eux mêmes, le développement de la ville de Carlow étant de nature à accroître d'avantage encore l'écart entre football gaélique et hurling. La ville est déjà largement dominée par le football et abrite deux clubs- Éire Óg et O'Hanranhan's- dominant la scène locale depuis la fin des années 1950, et qui, au travers de leurs récents bons résultats dans les All-Ireland de clubs, ont imposé  un modèle auquel aspire l'équipe du comté. Dans les années 1990, Éire Óg connut une réputation grandissante au niveau provincial, remportant les cinq finales du Leinster qu'ils disputa. À Carlow town, jamais le hurling n'a approché de tels résultats.
Pour l'anecdote et pour l'information des cinéphiles, l'équipe de Éire Óg apparait dans le film de Neil Jordan, Michael Collins, ou elle joue le rôle de celle de Tipperary dans la fameuse scène du bloody Sunday de Croke Park (Le club de Kilmacud Crokes incarnant Dublin).
Les défis auxquels est confrontée la GAA à Carlow sont comme on l'a vu, multiples et profonds, et sa capacité à les relever  déterminera sa faculté à demeurer un pilier essentiel de la vie du comté.

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